Presse – Fermeture des médias «non conformes» : Alioune Sall dans l’illégalité ?
Le ministre de la Communication, Alioune Sall, a signé un arrêté, en date du 22 avril 2025, sommant les organes de presse non conformes aux critères définis par la réglementation de cesser toute diffusion ou tout partage de contenus, de supports, en application des dispositions du Code de la presse. Pas moins de 381 entreprises sont concernées par cet arrêté dont la légalité interroge.
Afin de bien réguler le secteur des médias, le ministère de la Communication, des télécommunications et du numérique a mis en place une plateforme numérique pour recenser les entreprises de presse respectant les exigences du Code de la presse. Ainsi, sur les 639 médias ayant sollicité une approbation via la plateforme Déclaration médias du Sénégal (Dms), 258 ont été déclarés conformes aux dispositions du Code de la presse et 381 non conformes. Ces derniers s’exposent désormais à des sanctions, comme l’avait annoncé le ministre Alioune Sall dans son arrêté du 22 avril 2025.
Maintenant, si cette volonté de professionnalisation est saluée par certains, la légalité de la mesure interroge. «C’est une honte dans une démocratie que de fermer des médias. Si on peut autoriser des chaînes YouTube qui ont montré au public comment fabriquer des cocktails Molotov, on devrait franchement laisser d’autres, qui n’ont pas commis une telle hérésie, continuer d’opérer. Triste», a écrit le journaliste Madiambal Diagne sur X. Le journaliste Birame Faye, surpris par cette décision, fait une réaction similaire sur sa page Facebook. Selon lui, au Sénégal, un ministre n’a pas le pouvoir de fermer un média. Il estime que Alioune Sall a outrepassé ses prérogatives.
«Aucun des 233 articles du Code de la presse en vigueur du Sénégal ne donne la prérogative à un ministre de suspendre ou fermer un média. Il n’y a que l’autorité administrative, Gouverneur, Préfet et sous-préfet, qui peut suspendre un média, et pour des cas bien précisés devant la loi», affirme-t-il, tout en appelant à consulter les dispositions du Code de la presse, notamment celles relatives aux sanctions administratives et pénales. Le journaliste rappelle que dans un passé récent, le ministre d’alors, Moussa Bocar Thiam, l’avait fait à Walf Tv. «La Cour suprême a tout simplement annulé sa décision. Walf Tv est d’ailleurs dans son bon droit de réclamer des dommages et intérêts à l’Etat du Sénégal», fait-il savoir.
Aujourd’hui, le nouveau régime semble vouloir aller plus loin dans l’application du Code. Mais que dit réellement ce texte ? Birame Faye répond : l’article 192 donne ce pouvoir à l’autorité administrative (Gouverneur, Préfet et sous-préfet) «pour prévenir ou faire cesser une atteinte à la sécurité de l’Etat, à l’intégrité territoriale, ou en cas d’incitation à la haine ou d’appel au meurtre».
Il précise que toutes les autres sanctions, qu’elles soient administratives ou pénales, relèvent des attributions du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) ou du juge. Pour Birame Faye, dans les pays qui se réclament démocratiques, les textes évitent systématiquement de confier à l’autorité politique, le pouvoir de prononcer la fermeture ou la suspension d’un média. «Les risques d’abus sont réels. D’autant que, dans toutes les démocraties, les relations entre la presse et le pouvoir sont caractérisées par un malentendu permanent. Le contraire serait d’ailleurs suspect», conclut-il.
«C’est une aberration»
Joint par Le Quotidien, Moustapha Cissé, tout nouveau Secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), exprime lui aussi son désarroi face à cette situation difficile que vit le secteur des médias au Sénégal. «Avant d’en arriver à ce que dit le Code de la presse, j’aimerais rappeler que le directeur de la Communication avait reconnu, lors de sa dernière sortie, qu’il y avait des erreurs dans la liste publiée.
Et nous attendions une correction, pas un arrêté. Nous sommes désolés, c’est une aberration», a-t-il dénoncé. Pour rappel, après la publication de la liste définitive des médias reconnus, le ministre Alioune Sall a saisi officiellement son collègue de l’Intérieur, Jean-Baptiste Tine, le 17 février dernier, afin de mobiliser les services compétents pour assurer la cessation immédiate des activités des médias considérés «non conformes». D’après des sources bien informées, la Direction de la surveillance du territoire (Dst) et la Division spéciale de cybersécurité (Dsc) ont été sollicitées pour exécuter cette décision.
lequotidien.sn