Le CNRA ou la dérive d’un régulateur partisan ( Par Mouhamed Diop)

Le dernier communiqué du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), adressé au Groupe Futurs Médias (GFM) à la suite de l’altercation entre le député Amadou Ba et le chroniqueur Badara Gadiaga, marque une nouvelle étape inquiétante dans la politisation rampante des institutions de régulation au Sénégal. Ce qui devait être une instance neutre et impartiale est en train de devenir un instrument au service d’un agenda politique clair : celui de plaire au chef du parti Pastef, Ousmane Sonko.
Le CNRA semble avoir perdu toute mesure, et surtout toute distance. Au lieu de jouer son rôle de garant de la liberté et de la responsabilité dans les médias, il s’érige désormais en arbitre des opinions, avec une sévérité à géométrie variable. Le communiqué, plus politique que juridique, vise manifestement à intimider les médias qui n’entrent pas dans le moule idéologique du pouvoir actuel.
Cette posture n’est guère surprenante lorsque l’on connaît le parcours du doyen Mamadou Omar Ndiaye, président du CNRA, dont l’engagement en faveur du “projet” Pastef ne date pas d’hier. Son militantisme assumé rend toute prétention à l’impartialité caduque. Il est devenu régulateur du régime, non de l’audiovisuel.
Ce communiqué, plus qu’un avertissement, est un signal grave envoyé à toute la presse sénégalaise : il ne faut plus critiquer les figures du pouvoir, sous peine d’être rappelé à l’ordre par un régulateur aux ordres. Or, dans une démocratie, la liberté d’expression – y compris le droit à la polémique, à la satire, à l’ironie – doit rester une valeur cardinale. Ce n’est pas à un Conseil de régulation, surtout inféodé à un camp politique, de tracer les frontières de ce qui peut être dit ou non dans un débat public.
Ce dernier communiqué du CNRA contre le Groupe Futurs Médias, est une honte institutionnelle et une agression directe contre la liberté d’expression au Sénégal.Dans un débat télévisé, c’est bien le député Amadou Ba lui-même – et non le chroniqueur – qui a employé en premier le mot “client” pour qualifier son interlocuteur, avant de franchir une limite grave : présenter publiquement Adji Sarr comme une prostituée, sans retenue, sans égard pour les principes de réserve que commande sa fonction.
Pourquoi l’assemblée du CNRA n’a pas osé parler de cà ?
Où était la régulation quand un élu de la République se permet de tenir de tels propos sur une chaîne de télé ? Pourquoi ce deux poids, deux mesures ?
Le CNRA s’est contenté de cibler un média. Il a choisi le silence sur les dérapages du député et l’indignation sélective sur les propos du chroniqueur. Cette attitude n’est ni neutre ni professionnelle, elle est militante. Ce n’est pas une régulation. C’est une opération de protection politique, menée au nom d’une impartialité de façade.
Ce scénario est malheureusement bien connu. Hier, sous Macky Sall, c’était D-Media qui faisait les frais de cette régulation à géométrie variable. Deux coupures de signal, sans base juridique solide, avaient été décidées contre SEN TV et Zik FM, sous la houlette du CNRA. À l’époque déjà, on savait que ce “gendarme” des médias ne régulait que ce qui dérangeait le pouvoir de Maky Sall. Aujourd’hui, rien n’a changé. Seuls les alliés ont changé.
Sur le plan juridique, cette mise en demeure du CNRA viole les principes essentiels consacrés dans :
• l’article 8 de la Constitution qui garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse,
• l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par le Sénégal),
• la loi 2017-27 portant Code de la presse, qui exige que les mesures prises soient proportionnées, motivées, et dénuées de partialité politique.
Aucune de ces conditions n’est remplie ici. La mise en demeure du CNRA est non motivé sur le plan légal, biaisé dans son analyse, et discriminatoire dans sa cible. Il cherche à faire taire les voix critiques dans les médias, à faire peur, à imposer une nouvelle forme d’autocensure. Or, la régulation n’est pas la censure.
Le CNRA n’a pas été créé pour défendre un président, un parti ou une idéologie. Il a été institué pour défendre l’intérêt général, l’équilibre de la parole publique, et la diversité des opinions.
Face à cette dérive, l’opinion publique ne doit pas rester passive. Les médias doivent résister, les journalistes doivent parler, les citoyens doivent dénoncer. Sinon, nous glisserons lentement mais sûrement vers une République où les institutions dites “indépendantes” deviennent les bras armés d’un régime, quel qu’il soit.
Le Sénégal mérite mieux qu’une régulation aux couleurs d’un parti.
Mouhamed Diop Journaliste a Dmedia
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